Journal de quarantaine - Jour 5 : trous, giclures et taches

Rédigé par Thibaud Saintin Aucun commentaire
Classé dans : Quarantaine(s) Mots clés : quarantaine, Thaïlande, hôtel

Tout le monde sait désormais dans l'hôtel que l'infirmière, venue me chercher pour le test PCR, a brutalement senti brûler son bas-ventre, et faisant fi du protocole, m'a enveloppé, la voix blanche, arrachant tout le plastique qui nous sépare, le transformant peu à peu en accessoire érotique "bondage", et que, sa main, moite et tremblante, a... On sait aussi que j'ai pris au collet le ou la livreuse et que...

...et qu'en fait non. Les canards qui pètent des coeurs, envoyés par l'infirmière dans Line, c'est déjà pas mal, comme pitance érotique.


Quand à ceux qui livrent les repas sous plastique, je n'ai encore jamais réussi à les voir ; ma meilleure performance (en guettant le moment où l'on tape sur la porte), c'est d'avoir aperçu, au loin déjà dans le couloir, un amas de plastiques assemblés s'agiter comme le batteur du Muppet Show, narquoisement asexué. Resterait le récit de mes masturbations... Même là, quelle déception : je préfère les lessives à la main. Il faut croire que la libido est aussi peu stimulée que la peau par le soleil.

Ce matin, S. m'a appelé après m'avoir envoyé un lien vers un article de Mediapart qui porte sur le sexisme de Brassens, et on a eu une discussion à ce sujet. Vers la fin de l'article, le journaliste évoque la chanson de Léo Ferré, "Petite". Je la trouve très belle. Elle exprime le fantasme d'un homme mûr, conscient de l'être, qui met en scène son désir pour une très jeune femme, alors qu'il est parfaitement conscient de sa jeunesse. En substance, je reprochais aux censeurs de notre temps de prendre des fantasmes, exprimés en poèmes ou en chansons, pour des réalités - de dénier à la chanson ou au poème la possibilité d'être l'exploration d'un fantasme, comme si on devait nier toute forme de fiction - ou déduire d'une fiction une coupable réalité chez celui qui la déploie. A ce compte-là, Dostoïevski est un assassin qui prend plaisir à découper des petites vieilles à la hache, et il indique même la marche à suivre...

Il me reste ainsi le fantasme d'un beau jeune homme musclé, et j'entreprends de testostéronement gicler avec ce qui reste : la sueur. Le programme "burn" porte bien son nom, et je n'arrive pas souvent à le terminer.

Echaudé par le récit de C., à qui, dans son hôtel, on a fermement demandé de fermer sa porte et de moisir dans l'air vicié de sa chambre, je renonce à faire un courant d'air. Après avoir fait de l'espace, j'ouvre toutefois la fenêtre (mien privilège : C., elle, n'en a pas, elle), et règle le climatiseur sur "fan" pour qu'il envoie tout de même un peu d'air.

Au cours de ces ré-aménagements quotidiens, j'observe que les murs portent des histoires : des trous, des traces de meubles... notamment cette marque au mur qui évoque un tire-bouchon "de Gaulle", ou rappelle les traces au sol que laisse au sol un corps après des séries d'abdominaux sur le dos.

Il y a aussi des traces de soirées, de leur préparation. La tache, là, sur le mur à l'entrée de la salle de bain : elle est pleine de paillettes. Toutes ces paillettes des nuits bangkokaises, du temps où la ville était connue pour sa vie nocturne.

La souillure du seuil, c'est ma chaussure qui l'a laissée, malgré le sac plastique dont elle devait obligatoirement être recouverte pour que je puisse aller faire le second test PCR, ce matin - appréciable sortie. Je suppose que le plastique a agglutiné plusieurs couches successives d'eau de javel...

J'ai beau m'éponger avec une grande serviette, les exercices imposent des aller-retour entre la barre fixe et le tapis, et le sol est maculé au terme de seulement deux tiers de l'implacable programme. Grâce à la combine de N., je sais désormais laver tout cela en un rien de temps avec le petit balai plat et le chiffon en micro-fibre qu'elle m'a apportés (sans exagérer, comme la veille, sur le produit nettoyant...)

J'ignore de quelle grave perversion je souffre sans le savoir, mais il y a un plaisir certain à retrouver ses propres giclures sur les murs... Plus aucun doute, je suis éminemment sexuel et d'une virilité admirable... Mais ça serait bien l'heure d'une petite camomille. Ah, zut, y'en n'a pas.

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