Lecture stimulante, comme résistance à la sanie de « l’actualité », ou plutôt comme remise en place. Début de la préface de Jean-Pierre Vincent : « Ce texte vous parle. Il ne disserte pas. C’est une intimité singulière qui s’essaie à vous chuchoter quelques messages lointains – et pourtant si étrangement familiers à vos pensées inquiètes. »
— Ne crois donc pas que l’alternative de l’expérience et du mythe soit chose facile en ces temps de menace. Le paradoxe les contient tous deux comme une même folie. D’aucuns, à ce que l’on m’a dit, avaient pour opinion que l’on pouvait la discerner en faisant respirer la personne contre une plaque de verre : l’haleine se condensant, on pouvait voir au microscope des créatures vivantes de formes étranges, monstrueuses et terribles, telles que dragons, serpents et diables, horribles à voir. Mais de cela, je doute fort.
— De ma menace, il n’y a donc rien à voir, sauf les chimères, les terreurs figuratives que t’offriront ton haleine sur une vitre, ton mur, ton nuage, ta poussière intime. La menace n’est pas une forme mais un bruit, une aura, une rumeur, un ébranlement languide et prolongé.
— Il y a d’abord ceci : la mise en oeuvre d’une épidémie des mots. Toute chose est encore en l’état, mais les mots se propagent, avec une licence, une désinvolture soudaines, une épouvantable souveraineté. Aucun savoir ne s’y transmet, aucune chose ne s’y transmet ; les mots se transmettent, tout seuls, follement, comme de pures énigmes, de purs secrets. Des mots, sans référents. Leur seul référent serait l’imminence d’un référent possible, abstrait, absolu, — le mal.
— Dis, que sais-tu de cette épidémie ? Ne sais qu’on en parle, dit-elle en hésitant. — On en parle ? Qu’est-ce que c’est ? — On en prend surtout des mesures… — Qu’est-ce que c’est ? La peste ? — Ce n’est sans doute pas exactement cela, mais pour le peuple c’est la peste. — Ce sont des racontars.
Pp. 30-31