La crise commence où finit le langage

Quand on s’amuse à prendre le temps de répondre vraiment une sollicitation commerciale, en jouant l’idiot, pour voir jusqu’où ça ira… Finalement, de fil en aiguille, on finit par s’apercevoir que, quand même, les emails qu’on recevait l’année d’avant sont détournés par des gens pleins d’intentions qu’ils qualifient probablement de bonnes – pourvu qu’elles soient intéressées. C’est à ce monde là, et surtout à cette langue-là, qu’on voudrait résister, en chatouillant un peu, au risque de se craindre donquichottesque.


Entendu dans Tire ta langue (émission de radio) Eric Chauvier évoquant son émotion, son sentiment d’une sorte de cassure, lors d’une conversation au téléphone avec à une femme sommée de faire du phoning, qu’il essaie malgré tout de rejoindre derrière son discours factice — tiré d’un contexte qui supposerait un véritable échange… Titre très évocateur de son livre La crise commence où finit le langage. Peu après je reçois un email commercial, auquel, sous influence, je décide de prendre le temps de répondre.

Ça commence par un peu d’obséquiosité, par quelques flatteries longuement méditées aux accents curriculum-vitaesques, anticipant le plaisir de me rencontrer, et promettant l’accès aux secrets financiers d’une catégorie de gens que leur connaissance des combines rend privilégiés — ceux qui savent échapper aux impôts :

Cher Monsieur SAINTIN,

Lors de mon dernier passage à Bangkok en janvier 2010 j’ai eu la possibilité de rencontrer un grand nombre de familles françaises expatriés, non-résidents fiscalement en France a qui j’ai pu apporter des solutions en matière de protection de la famille, d’optimisation de placement, de préparation de la retraite, de préparation au retour en France pour effacer les impôts et de recherche de crédit pour financer un bien en France.

Je n’ai donc pas pu prendre contact avec vous. Aussi, je me permets de le faire aujourd’hui afin d’avoir le plaisir de vous rencontrer lors de ma prochaine présence à Bangkok du 15 mars au 16 avril 2010.

Ainsi, lors de notre rendez vous, je me permettrai de vous renseigner sur notre domaine d’intervention et vous pourrez à cette occasion me faire part de toutes vos éventuelles interrogations sans aucun engagement de votre part.

En effet, savez-vous que le statut de non résident permet de transmettre des capitaux hors droit de succession sans limitation de montant ? Et en cas de retrait, ces capitaux ne sont pas soumis aux impôts (CSG et CRDS), même à votre retour en France, vous conservez cet avantage.

Savez-vous également que vous avez la possibilité d’obtenir des loyers nets d’impôts (revenus nets d’impôts aujourd’hui ou lors de votre retraite), tout en vous constituant un patrimoine ? Et si vous payez des impôts sur le revenu à votre retour en France, vous pouvez les effacer.

Afin de vous renseigner sur toutes ces dispositions avantageuses, pourriez vous m’accorder un rendez vous à votre convenance, soit à vos bureaux ou à votre domicile soit à nos bureaux au [gros centre commercial] ?

Dans l’attente de votre réponse et du plaisir de vous connaître, je vous souhaite une excellente fin de semaine.

[suit une signature aux multiples références, presque aussi longue que le message lui-même].

Mon email est assez soigneusement protégé. Une telle sollicitation suppose le recoupement de plusieurs données : mon email privé (j’en ai un « poubelle »), mon lieu de résidence, mon statut de « non-résident » en France, etc.

Ma réponse est volontairement abrupte, parce que j’anticipe une gêne, à l’autre bout : impossible de ne pas avoir à avouer, si on répond, que le recoupement est une « fuite », quelque part, dans mon entourage :

Bonjour,

Je souhaiterais savoir comment ou par qui vous avez eu connaissance à la fois de mon lieu de résidence, de mon adresse email, et de mon nom, informations qui vous ont permis de me contacter.

Cordialement,

TS

La réponse comporte cette fois un logo, une adresse en « dircom », et des changements de taille dans les polices de caractère, signalés ici par le passage en italiques :

Bonjour Monsieur SAINTIN,

Pour faire suite à votre demande de renseignement, je vous informe que nous avons un service marketing au sein de notre groupe qui s’occupe de te fournir les coordonnés des français en Thaïlande.

Toutefois, si vous ne désirez plus recevoir des informations émanant de notre société, je préviendrais le service marketing qui vous supprimera de notre liste des contacts.

Dans l’attente de votre confirmation.

Bien Cordialement,

La résistance se manifeste donc, sur un mode évasif, et donne l’occasion de jouer à l’idiot :

J’aimerais donc savoir comment votre service marketing s’est procuré mon lieu de résidence, mon adresse email, mon nom, et les informations qui vous ont permis de me contacter.

Cordialement,

TS

Le procédé qu’on a utilisé pour me contacter est forcément une atteinte à la vie privée. Je ne sais toutefois pas jusqu’où la mauvaise foi peut aller. Elle va me semble-t-il jusqu’à une tentative de m’apitoyer quant au sort du travail d’un « service marketing », tout en faisant briller des « avantages » que j’ai probablement l’inconséquence de ne pas considérer :

Bonjour Monsieur SAINTIN,

Cela fait partie effectivement de leur travail en terme de recherche et de prospection car notre société a pour vocation à travailler avec la clientèle française expatriée, non résident.

De nombreux contacts ont été généré à ce jour afin de nous présenter à la clientèle francophone sur l’Asie du Sud- Est et à ce jour de nombreuses personnes nous ont reçu avec grand plaisir afin que nous puissions les renseigner, informer sur leurs droits et avantages liés à leur situation d’expatriée…

Nous serions ravi de pouvoir vous apporter nos services mais si vous ne souhaitiez plus être importuné, n’hésitez surtout pas à m’en faire part afin que je puisse demander à nos services de vous supprimer de notre liste.

Vous remerciant par avance de votre compréhension.

Bien Cordialement,

Devant un tel ravissement, je me sens obligé de répondre, en réutilisant l’un des slogans de la kilométrique signature. Celle-ci semble tenter de proclamer, à grands coups de de majuscules, des valeurs absolues que nous sommes supposer respecter : « Notre Expertise à votre service pour vous apporter une solution Globale et Personnalisée : Préparer votre Retraite, Vous Constituer des Revenus Complémentaires, Optimiser votre Patrimoine, Protéger vos Proches, Transmission… » :

Bonjour,

Je comprends bien que cela fait partie du travail de recherche et de prospection de votre service marketing, je l’avais même compris depuis le début, mais cela ne répond pas à ma question qui est très simple : vous me contactez, je vous demande comment vous avez eu mes coordonnées, ou comment votre service a eu mes coordonnées.

Que ce soit ou non votre service marketing, c’est bien la société [machin] qui me contacte. Vous annoncez une expertise pour m’apporter une solution personnalisée : où est-elle donc si on refuse de répondre à une question aussi simple ?

Cordialement,

TS

Alors que jusqu’alors les réponses parvenaient rapidement, cette fois, silence. J’insiste donc, en me conformant délibérément au point de vue du potentiel client — dans lequel l’email initial et les premières réponses semblaient tenter de me situer. J’ai aussi envie de dévoiler un peu mon jeu, dans l’espoir que mon interlocuteur pourra se positionner quant au domaine où j’essaie de l’emmener :

Bonjour,

Permettez-moi d’être insistant et de vous demander une nouvelle fois par quel moyen vous avez obtenu mes coordonnées. Je ne cherche qu’à exercer un droit élémentaire de savoir comment quiconque est en mesure d’obtenir, à mon insu, mon adresse email et mon lieu de résidence.

L’absence de réponse sur ce point constitue, sinon une illégalité, du moins un procédé que le simple bon sens amène à questionner. Le potentiel client que je suis recevrait avec grand plaisir, comme vous le suggérez, tout prospecteur capable de lui expliquer avec transparence quelles données il détient sur son compte, avant de prétendre lui expliquer les avantages liés à sa situation d’expatrié.

Vous comprendrez donc que le silence et les réponses évasives sur ce point n’invitent guère à la confiance. Voici une petite caricature de ce que je ressens : « Bonjour, faites-moi confiance, j’ai un service marketing qui se renseigne sur vous sans vous en prévenir, qui refuse de vous donner ses sources, et voilà qui me permet de vous dire que je vous aurez grand plaisir à être mon client ».

Le potentiel client, donc, hésite, et estime avoir le droit de savoir ce qu’on sait sur lui et comment on le sait. Le même potentiel client ne se satisfait pas, dans la première réponse qu’il a obtenu, de ce qui ressemble à un copier-coller : on n’y a pas pris la peine d’ajuster la taille des polices, ni d’effacer le tutoiement d’un renseignement qui semble circuler « en interne » :

« je vous informe que nous avons un service marketing au sein de notre groupe qui s’occupe de te fournir les coordonnés des français en Thaïlande. »

Voilà donc qui laisse entendre que le service marketing en question est en mesure d’une part de se conformer à la loi Informatique et Libertés, et d’autre part de vous renseigner, ou de me renseigner directement.

J’imagine que je vous donne l’impression de vous faire perdre du temps. Pardonnez-moi d’avoir le souci d’exercer ma liberté en refusant de céder à la facilité. A mes yeux, la crise, la paupérisation des esprits, la perte de repères culturels, l’incivisme, c’est d’abord la prolifération d’un discours promettant douceurs et d’enrichissement… tout en méprisant fondamentalement celui à qui il s’adresse, tout en refusant l’échange avec lui, tout en en faisant un gêneur s’il ose refuser l’information à sens unique, s’il essaie de sortir du rôle de client passif qu’on entend lui assigner. Au mieux on lui donne la possibilité de ne plus être importuné, en le culpabilisant un peu au passage (« vous ne savez pas ce que vous perdez »…)… J’imagine que dans nombre d’entreprises, en interne, on demande à chacun de se faire l’esclave de ce discours-là, de le répandre, voire d’y croire, un peu comme dans ces entreprises françaises où on finit par se suicider devant le vide des échanges et la triste soumission que suppose cette parole-là. J’y vois un écho à ce que d’autres appelaient déjà il y a bien longtemps la « servitude volontaire ».

J’aimerais donc avoir confirmation, par cette simple demande de renseignement, strictement légale, que votre entreprise a bel et bien une éthique claire sur la façon dont elle se renseigne sur ses potentiels client, que le « travail de recherche et de prospection » qu’elle mène suppose bel et bien le respect.

Merci de votre compréhension.

Cordialement,

TS

La réponse attendue ne tarde pas à suivre, tout en tenant compte de mes deux emails. Mais le ton se durcit très légèrement, et surtout on m’annonce la suppression de mon gênant email, en faisant mine de se conformer à une demande qui émanerait de moi — ce qui semble confirmer le souci de ne surtout pas s’engager sur le terrain de la légalité, ou pire encore, de « l’humanité ». Au passage, on me prend explicitement pour un naïf que la seule répétition d’un mensonge parviendrait à convaincre : non, non, nous n’avons pas fait de recoupement d’informations, nous n’avons récupéré QUE votre email… A cela s’ajoute l’argument fallacieux de la « confidentialité » : nous voilà dans un mauvais film d’espionnage…

Cher Monsieur SAINTIN,

Faisant suite a votre dernier mail je me permets de vous répondre tardivement et m en excuse du fait du décalage horaire entre la France ou je me trouve actuellement et la Thailande.

Comme toute entreprise de service et commerciale, il existe un service marketing au sein de la societe qui se charge de recuperer les coordonnes des prospects.

Je suppose que votre societe a egalement ce service. Vous me demandez comment notre service marketing a pu recuperer votre adresse e-mail parmis les autres francais vivants en thailande, je vous repondrais simplement que c est leur travail tout comme le service marketing et commerciale de votre societe.

La manière ainsi que les modes de recherche, d obtention d’ information restent cependant interne a notre société.

Vous avez tout a fait raison de ne pas faire appel au service d’une société qui ne vous aspire pas confiance.

A votre place je ferais la même chose.

Effectivement par rapport a votre droit, vous avez la possibilite de demander a ne plus recevoir de mail et d etre enlever de notre liste.

De ce fait, je demanderai des a présent a notre service marketing de vous enlever de notre liste de contact.

Bien Cordialement,

[machin]

C’est le moment que je choisis pour montrer que je suis informé de la Loi… Laquelle concerne la société en question, qui a son siège en France.

Bonjour,

Votre service n’a pas simplement récupéré mon adresse email, mais aussi établi une relation entre cette adresse et le fait que je réside en Thaïlande.

J’ai le droit certes de faire retirer mon adresse de vos fichiers, ce que je n’ai pas explicitement demandé, mais également celui de connaître l’origine de ce recoupement d’informations.

J’ai le droit de savoir où je suis enregistré, par qui, ce qui figure dans mon dossier y compris dans les annotations. Je n’ai pas explicitement demandé à être exclu de vos fichiers, je n’ai pas non plus exclu de faire appel au service d’une société comme la vôtre : j’ai essayé d’expliquer les doutes que la procédure utilisée pouvait provoquer dans une tête simplement animée de bon sens, sans faire référence au langage juridique qui existe déjà sur ce sujet (parce qu’il donne immédiatement l’impression qu’on cherche le conflit, ce qui n’est pas mon cas : je cherche simplement à faire reconnaître un droit élémentaire en restant sur le terrain du bon sens).

Limiter à une « affaire interne » ce recoupement d’informations, qui n’a rien d’anodin puisqu’il relève entièrement du domaine privé, c’est bafouer un droit élémentaire d’accès aux informations détenues sur mon compte, et décréter que je n’ai pas le droit de savoir d’où une société x ou y tire « simplement » des informations à mon propos. Je respecte entièrement le travail de prospection du service marketing, dès lors qu’il respecte mon droit de savoir, et me le fait savoir.

En d’autres termes, je ne demande rien d’autre que l’exercice du droit d’accès, tel qu’il est défini par la loi Informatique et Libertés (voir notamment l’article 94 du décret du 20 octobre 2005 pris pour l’application de la loi du 16 janvier 1978 modifiée).

En vous remerciant de votre compréhension,

TS

La référence à la Loi, assortie d’un lien, semble enfin obliger mon interlocuteur à quitter le terrain de la mauvaise foi, tout en lui faisant suggérer la discrète menace d’un « service juridique du groupe » — rien que le terme de « service » qui renvoie à un collectif : on imagine volontiers des types en costume, experts en épluchages de clauses… Ajouté au prétendu secret « interne », ce « service » de tout « un groupe », ça fait de plus en plus bande organisée :

Bonjour Monsieur,

Faisant suite à votre demande d’information complémentaire, je vous informe que je transfère dès à présent votre mail à notre service juridique du groupe qui ne manquera de vous apporter une réponse.

Pour ma part, je n’interviens par rapport à ma fonction que dans le conseil, la fiscalité des particuliers « résident français » et « non résident » au travers de la gestion patrimoniale…

Dans cette attente, je reste bien entendu à votre disposition pour toutes informations complémentaires par rapport à votre droit lié à votre statut d’expatrié.

Bien Cordialement,

[machin]

Je soupçonne, au ton, au caractère un peu laborieux des tournures, l’inexistence d’un réel « service », voire une larme d’intimidation, et fais semblant d’y croire :

Bonjour,

Merci d’avoir transmis ma demande.

Bien cordialement,

TS

On a la subtilité, à l’autre bout, de me faire attendre suffisamment pour que j’en vienne à me demander si je ne vais pas récrire : façon sans doute de laisser supposer une véritable enquête… Le problème, c’est qu’à force, l’envie m’est réellement venue de savoir d’où est venu le recoupement. J’en ai parlé autour de moi : je constate que quelques collègues ont reçu, eux aussi, cette sollicitation tout aussi « personnalisée ». Il y bel et bien une « fuite »…

Arrive donc le « pompon » :

Cher Monsieur SAINTIN,

Je me suis rapproché de mon collègue en Thaïlande qui s’occupe du marketing et qui m’a transmis ceci.

Voilà comment il a pu « récupérer » votre nom et prénom : Il ne prend que les e-mails qui indiquent bien le nom et le prénom… pour personnaliser les e-mailing.

Tous les e-mails qui arrivent sur notre serveur sont traités ainsi (voir message joint ci- dessous en rouge)

Voilà vous savez tout et moi aussi, j’espère avoir répondu à vos attentes.

Dois-je lui demander d’effacer votre e-mail pour nos futurs envois ?

Dans l’attente de votre réponse.

Bien Cordialement,

Suit la copie d’un email diffusé l’an passé dans le cadre de mon travail, puis rediffusé vraisemblablement par un des intéressés à un cercle d’ami baptisé « les filles ». J’étais destinataire du message, la personne qui s’occupait de l’organisation d’un voyage scolaire ayant envoyé une proposition aux profs accompagnateurs, au personnel administratif, aux parents d’élèves, etc. Dans la transmission du message qu’on me propose ont été effacés les destinataires et émetteurs, pour ne laisser que mon adresse, en tant que destinataire d’une copie conforme…


———- Message transféré ———-
De : >
Date : 29 avril 2009 09:52
Objet : FW: Sortie […]
À : > [effacé]

— En date de : Lun 27.4.09, <[effacé]> a écrit :

De: <> [effacé]
Objet: FW: Sortie […]
À: « >[effacé]
Date: Lundi 27 Avril 2009, 7h08

Coucou les filles,

voilà la réponse de l’hotel, qu’en pensez-vous?

bonne journée

> From: [effacé]
> To: [effacé]
> CC: [ici mon adresse email];
> Subject: Sortie [x]
> Date: Mon, 27 Apr 2009 11:59:50 +0700
>
> Bonjour,
>
> Nous avons téléphoné à l’hôtel [machin] pour une demande de
> proposition budget pour la sortie […] en mai […]
>
[suit une série de tarifs etc]

Il me suffit de retrouver cet email dans ma propre boîte pour identifier par moi-même la source de la « fuite », si tant est que cet email ait vraiment été la source… Entre temps, un collègue me montre qu’il a reçu exactement la même proposition « personnalisée ». Or son adresse est une suite de 10 caractères elliptiques, qui ne contient ni son nom, ni son prénom, ni aucun séparateur, ce qui dément intégralement la réponse farfelue qu’on m’a fournie. Il envoie devant moi un email demandant comment on a pu savoir qu’il habitait en Thaïlande etc. On s’amuse bien, et j’en finis avec ce dernier email qui n’a obtenu aucune réponse, c’est peut-être pas plus mal :

Bonjour,

Merci encore de votre sollicitude et de votre rapidité.

Je pense toutefois que je ne sais pas tout, et que vous n’avez pas pu répondre à toutes mes attentes.

En effet, votre collègue de Thaïlande ne vous a pas tout dit, notamment :

– qu’un programme qui parviendrait à localiser un email destinataire (donc impossible à associer à la moindre adresse IP émettrice) qui se termine par un suffixe en « .com » n’existe pas ;

– que n’ont pas seulement été récupérés mon nom et mon prénom, comme je le répète, mais AUSSI ma localisation, mon statut de résident en Thaïlande, et accessoirement, comme je viens de le découvrir, un courrier à usage professionnel dont j’ai été destinataire ;

– que le programme en question, décidément très élaboré, devrait aussi savoir identifier un prénom et un nom derrière une chaîne de caractère, savoir en sus reconstituer leur ordre de mention (il n’est pas rare d’inverser prénom et patronyme), mais qu’il devrait aussi savoir faire le tri, dans le même mail, entre une adresse en « .com » renvoyant à une personne en Thaïlande et une adresse en .com renvoyant à quelqu’un qui se trouve ailleurs (ou encore qu’une association à la localisation « Thaïlande » de toutes les adresses en .com, sur quelque serveur que ce soit, aurait des répercussions très comiques sur la fiabilité des données récupérées…) ;

– que l’email étant supposé avoir servi de source est un email « en interne », qui a été émis dans le cadre d’une école, et non dans le cadre d’une entreprise ;

– qu’on ne peut, par conséquent, avec les informations dont je dispose pour l’instant, inférer qu’une seule chose : cet email a fini par constituer, sur la source d’une identification qui ne peut être que (trop) humaine, une source pour le recensement de « prospects » dans le cadre d’un service marketing ;

– que quel que soit le chaînon humain qui ait fait la transmission, il ne m’a pas demandé mon avis pour transmettre mon adresse avant que vous me contactiez, ainsi que celle d’autres collègues, et qu’il a peut-être même cru agir dans mon intérêt – mais que le fait est que j’ai malgré tout le droit de le savoir ;

– que cette utilisation ne respecte pas la privauté des données, tout en constituant un détournement d’emails professionnels ou privés à des fins commerciales, sur la base d’une simple transmission d’un email qui, après tout, n’est peut-être qu’une simple et courante négligence (l’usage voulant toutefois qu’on s’efforce de ne pas « multiposter » sans réfléchir aux adresses qu’on envoie aux uns et aux autres) ;

– que toutefois l’inclusion de mon nom sur une liste de potentiels clients, suite à cette identification, n’a, elle, rien d’une négligence : elle constitue une décision commerciale, un usage, une pratique, à défaut d’éthique clairement établie ; elle peut faire l’objet d’une revente ;

– que cet échange est depuis le début une très très belle illustration (un cas d’école, c’est le cas de le dire) d’une erreur dans le respect des données personnelles, erreur que vous me permettrez d’associer (comme la langue française nous y invite communément dans une locution d’usage courant) à l’adjectif « grossier », au féminin ;

– que le fait qu’on ait pris soin (dans la citation en rouge du mail-source, citation destinée au demandeur d’information que je suis), d’effacer les émetteurs et destinataires (sauf moi-même) sur le mail en question en dit très long : d’un seul coup, on prend un soin extrême à protéger des données supposées personnelles… Que n’a-t-on eu, dès le départ, ce souci d’exactitude et de respect des données en ce qui concernait ? Pourquoi tant de réticences à m’indiquer, dès le départ, cette source, dont j’ai par ailleurs l’original dans mon courrier, l’ayant moi-même reçue ?

– mais que le plus irritant, à mesure que cet échange progresse, c’est d’avoir le sentiment d’être pris pour un naïf, un potentiel ignare, un arriéré des réseaux, que la magique allusion à une alchimie de « serveur » parviendrait à convaincre qu’il n’a rien compris et que la protection des données personnelles, ça ne compte pas, les lois tout ça, c’est rien, on en fait ce qu’on veut, tant que l’autre, en face, se laisse faire, et se contente d’un « on peut retirer si vous voulez », passant l’éponge sur tout le mépris que suppose la récupération de données qui précède ;

– que j’en viens à comprendre d’autant mieux ceux qui vont jusqu’à demander un recours à la CNIL, quand quelque entreprise que ce soit se montre irrespectueuse de la privauté des données, et, prise sur le fait, tentant de « noyer le poisson », s’enferre ;

– qu’évidemment, il faudrait, si l’on devait respecter la loi, qu’on nous donne tout simplement et en toute franchise le nom de la personne qui a, sans m’en prévenir, transmis mon « email » + statut + lieu de résidence, ce qu’elle ignore peut-être elle-même ;

– que tout cela serait évidemment ennuyeux, si on se montrait procédurier au point de demander l’application de la loi et un recours à la CNIL, mais que ce serait alors d’un triste !… alors que pour l’instant, c’est beaucoup plus drôle de demander si votre service marketing a également bien enregistré le nom, prénom et localisation en Thaïlande de mon collègue [abcdefghij] (nom et prénom à la fois, bien connus des serveurs qui récupèrent par magie des données personnelles – grâce à des super-programmes qui savent déduire un vrai nom d’une combinaison complexe de suites numériques et de clés de décryptage à 26 inconnues… Ô admirables serveurs qui doivent comporter force listes d’autres adresses aux noms tet prénoms décidément très innovants, à tout hasard : [A. Bcdefghij], [Abc defghij], à moins que ce ne soit [Abcdef Ghij]…

– que je serais ravi si vous transmettiez cet email au « service marketing », en lui demandant de réfléchir encore un tout petit peu au respect, sinon des lois (du droit à protéger sa vie privée), du moins des personnes, et de ne pas systématiquement supposer l’ignorance chez l’interlocuteur ;

– que puisqu’il me connaît si bien, il peut aussi plus simplement me contacter et me demander mon avis avant de « refiler » (si vous me permettez ce terme familier, à la hauteur de la grossièreté du procédé) mes nom/prénom + adresse + localisation + statut de résident, ainsi que ceux de mes collègues,

– et que tout de même, je dois le remercier pour l’exercice de dérision qu’il m’a permis, laquelle est désormais objet de partage et d’amusement – tout rabelaisien – en ce bas monde, pour ceux qui ont pris le parti d’en rire quand même.

Enfin, puisque, renonçant à obtenir satisfaction quant au respect total de mes libertés, j’en sais suffisamment pour n’avoir plus qu’à hausser les épaules, je vous prie de bien vouloir en effet effacer mon email de vos serveurs : je ne pense pas être, comme le dit une autre locution populaire, un assez gros gibier pour être fiscalement et financièrement très intéressant.

Cordialement,

TS

Et comme je m’étais promis de remiser tout ça dans un coin parce que je m’étais quand même amusé à le faire, c’est fait.

À bien y réfléchir c’est cette langue-là, cette façon de tenter d’annihiler tout discours qui ne rentre pas sous le joug de la mercatique, qui me fait me raidir et tenter de la déjouer par la dérision. Les réticences, en face, semblent se fonder sur une espèce de dignité de la fonction. Je me demande si c’est le même discours qui fait dire (du type en costume qui tabasse un autre pas en costume) « il ne fait que son boulot ».

Raison de plus pour aller voir le livre qui parle de cela. Pour autant je n’ai pas l’impression d’avoir réussi à briser la gangue de cette langue-là, je me console en disant que c’est une goutte d’eau dans la mer, mais une goutte quand même.

2 réflexions sur « La crise commence où finit le langage »

  1. Bonjoir
    Votre histoire d’abus de récupération de données se lit comme un roman passionnant. Merci
    Je suis allé sur votre site pour vous demander si je pouvais transmettre le lien à un extrait du « discours de la servitude volontaire », mais il se trouve que ce lien (https://thibaudsaintin.net/before/?p=53) comme d’autres, est obsolète. Ce qui est fort dommage.
    J’ai le fichier PDF (qui fait 240ko) mais pour des questions écologiques, je préfèrerais transmettre le lien (et en même temps une « pub » pour votre blog qui contient de belles pages et de belles photos.) A vous devoir quoi faire de ma demande.
    Bien à vous
    Laurent (alias Rene-Electro, réparateur décroissant)
    PS : Je vous expliquerai comment j’ai eu le fichier de 240Ko, si vous ne vous en doutez pas déjà.

  2. Bonjour,

    Merci de votre message !
    J’avais remisé cette histoire… ainsi que la séquence autour de l’idée de servitude volontaire.
    Il faudrait hélas que je reprenne… Vous pouvez diffuser le fichier, qui est normalement disponible sur le site Weblettres à partir de la page https://www.weblettres.net/pedagogie/index2.php?rub=7&ssrub=145 – mais cela suppose une inscription…

    Je vais donc le retrouver et le joindre dans la page suivante :

    https://www.thibaudsaintin.net/index.php?static2/ecole

    Est-ce là votre source ?

    Je m’en occupe dès que j’ai envoyé cette réponse…

    Merci encore et à bientôt !

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