Quelqu’un

Vraiment, ce besoin de ne pas être pris pour un autre, cet instinct furieux, car vous êtes soudain devenu furieux, cette rage de ne pas vouloir être confondu, vous ne devinez pas qu’elle vous dénonce ? Même si vous aviez une autre tête, si votre tête n’était qu’un masque, n’importe qui vous reconnaîtrait, vous qui ne voulez pas être n’importe qui, qui vous raccrochez désespérément à vous, pour vous distinguer, pour être quelqu’un d’à part, une anomalie, une exception sans règle, une exception ignorant et écrasant la règle. L’intrigue perce dans tous vos gestes : il y aurait ici, en ce moment, des monceaux de preuves de votre activité illégale, rien qu’on vous regardant, j’en saurais mille fois plus. Oh, depuis notre première rencontre, je vous ai étudié, je ne cesse de vous regarder : votre manière d’être là, de marcher, de vous tenir, c’est cela qui en vous travaille contre la loi, qui est un effort désespéré pour intriguer, pour conspirer, un effort et pas même un effort, car, soudain, vous le découvrez vous-même, il n’y a pas d’intrigue possible, tout est déjà par terre, vous êtes n’importe qui, un médecin, et vous vous mettez à crier : « je suis votre médecin, il ne faut pas me prendre pour un autre », de sorte que votre protestation, à l’instant même, vous trahit encore, et à nouveau c’est l’intrigue, l’espoir de l’intrigue, et tout recommence.

Maurice Blanchot, Le Très-Haut

J’habiterai mon nom

Étranger, sur toutes grèves de ce monde, sans audience ni témoin, porte à l’oreille du Ponant une conque sans mémoire :

Hôte précaire à la lisière de nos villes, tu ne franchiras point le seuil des Lloyds, où ta parole n’a point cours et ton or est sans titre…

« J’habiterai mon nom », fut ta réponse aux questionnaires du port. Et sur les tables du changeur, tu n’as rien que de trouble à produire,

Comme ces grandes monnaies de fer exhumées par la foudre.

Saint John Perse, Exil