Bonne pensée du matin
À quatre heures du matin, l’été,
Le sommeil d’amour dure encore.
Sous les bosquets l’aube évapore
L’odeur du soir fêté.
Mais là-bas dans l’immense chantier
Vers le soleil des Hespérides,
En bras de chemise, les charpentiers
Déjà s’agitent.
Dans leur désert de mousse, tranquilles,
Ils préparent les lambris précieux
Où la richesse de la ville
Rira sous de faux cieux.
Ah ! pour ces Ouvriers charmants
Sujets d’un roi de Babylone,
Vénus ! laisse un peu les Amants,
Dont l’âme est en couronne.
Ô Reine des Bergers !
Porte aux travailleurs l’eau-de-vie,
Pour que leurs forces soient en paix
En attendant le bain dans la mer, à midi.
Mai 1872.
Je connais le point. Tout n’est encore qu’un pavé d’obscurité, puis un papier dans la rue a un frémissement, plus faible qu’un coup de poignet à un éventail, puis la main d’un homme enfile une chaussure sans allumer ni faire de bruit près de sa femme, puis un branlement de tête d’une vieille qui attend le retour du sommeil en lisant un roman, voilà que la nuit se ramasse dans un geste secret en un point, et l’obscurité n’est plus un gaz, mais une huile qui coule vers l’occident.
Je connais le point de la nuit où elle se détache de la terre et glisse sur elle.
Même si un ouvrier, déjà debout depuis longtemps, a envie qu’il fasse jour, une partie de lui-même irait bien aussi derrière la nuit, pour faire le tour de l’ouest dans l’obscurité.
À ce moment-là, je me détache du sommeil de Làila qui a fini sur mon bras.
Le Parc Montsouris c’est le domaine
où je promène mes anomalies
où j’me décrass’ les antennes
des mesquin’ries de la vie
Y’a même un kiosque à musique
Où des militair’s jouent à moitié faux…
Je vis pas ma vie, je la rêve
le soleil se lève et moi aussi
C’est comme une maladie
Que j’aurais chopé quand j’étais tout petit
Et qui va pas m’lâcher avant qu’j’en crève…
Le facteur, le coursier,
Et les belles de nuit
les éboueurs m’interpellent :
« Hey Jacques ! Qu’est-c’qu’tu fous encor’ debout à c’t’heure-ci ? »
Je vis pas ma vie, je la rêve
C’est comme une maladie
Que j’aurais chopé tout petit
(…)
Je suis le dauphin de la place Dauphine
Et la place Blanche a mauvaise mine
Les camions sont pleins de lait
Les balayeurs sont pleins de balais
Il est cinq heures
Paris s’éveille
Paris s’éveille
(…)