William Daniels, photographe indépendant représenté par l’agence IMAPRESS, collabore avec divers titres de la presse française. Il a réalisé un reportage de fond sur les enfants des rues de Manille, sélectionné lors de la 16e Bourse du talent le 6 mars 2002 :
Manila, que fais-tu de tes gosses ?
Il intervient auprès de la fondation Virlanie, et propose aux enfants une initiation à la photographie, les emmène en ville ou dans les rares parcs de Manille pour photographier ce qu’a priori ils n’auraient pas voulu photographier : reflets, séries, cadrages inattendus etc. Ensuite chaque enfant reçoit un appareil jetable. Les photos recueillies sont triées, agrandies, et c’est cette sélection qu’on présente aux élèves de 3e, avec la consigne d’écrire à partir de là, par étapes. Les textes + photos sont ensuite montés sur des cadres noirs, exposés à l’école, certains textes traduits par les élèves en anglais, et une rencontre a eu lieu sur le terrain de basket… Une goutte d’eau dans la mer, des résistances inattendues même qui ont failli faire capoter l’exposition, qui font que ces mondes-là se sont à peine rencontrés, et puis finalement on l’a menée à terme, en prenant des pincettes, en essayant de confronter ceux qui résistaient à leurs propres arguments dans les textes de présentation.
Texte de William Daniels pour présenter l’idée de l’exposition :
« Outre de la pauvreté, les enfants des rues de Manille souffrent d’un manque de considération.
Pour leur donner les moyens de s’exprimer, trente-trois enfants de la fondation Virlanie et d’un bidonville de Divisoria ont reçu un appareil jetable. Aucune consigne ne leur a été imposée. Au contraire, le « jeu » consistait à s’ouvrir : s’évader des règles bien-pensantes de la photographie nette, posée, et bien cadrée. Car c’est ainsi qu’une image devient une histoire.
Cette expérience est aussi l’occasion de rapprocher deux mondes très éloignés : les enfants des rues de Manille et ceux de l’Eurocampus. »
William Daniels.
Texte du professeur de français pour présenter l’exposition aux parents :
«En ces temps de replis identitaires, d’extrémismes et d’intolérance, les programmes de Troisième insistent sur la nécessité de s’ouvrir à l’autre, de favoriser » la prise en compte d’autrui « . Cette orientation essentielle, doublée de « l’expression de soi », la présence fortuite (et brève) de William Daniels à Manille, la nécessité d’ouvrir l’école au milieu qui l’accueille… constituaient autant d’incitations à mettre ce projet en place. Les décisions ont dû être prises rapidement. De même que les textes ont été écrits en peu de temps, les développements, les tirages, les collages de photos ont été faits dans l’urgence. Mais ces contraintes, précisément, constituaient le piment du projet.
Le but, espérons-le, n’aura pas été manqué : faire comprendre qu’il n’est pas de photographie neutre, et qu’il n’est pas d’écriture neutre. Rendre également tangible que ni l’une ni l’autre ne sont des domaines réservés : qu’elles peuvent engager des jeunes qui déjà, pour peu qu’on leur en laisse l’occasion, ont la capacité de nous renvoyer à nos propres questionnements sur le monde où nous vivons.
Prendre en compte autrui consistait ici à accepter la présence de son regard. Non pas s’interroger sur qui il est, vu de l’extérieur, ni sur de quelconques motivations psychologiques. S’interroger directement à partir de ce qu’il a bien voulu nous donner à voir. Lire une image. Et de là, à son tour, donner : donner à lire. Aussi, personne n’était obligé d’écrire ; toutefois s’engager dans l’atelier d’écriture impliquait qu’on livre un texte, qu’en fin de parcours on donne à lire.
Pour essayer de briser la dynamique des rhétoriques faciles, il a été demandé de brouillonner : écrire un premier texte pour soi, le reprendre, le travailler une fois, deux fois, trois fois… En tout, quatre textes, dont un et un seul, finalement, devait être livré aux regards : celui qu’on choisissait de livrer.
Le résultat n’est pas à considérer comme un produit fini : ce n’est qu’un instantané. On aurait pu, pour donner une idée de la partie immergée de l’iceberg, montrer les trente-trois fois vingt-trois photographies non sélectionnées, et les quatre fois quinze brouillons, riches de ratures, de reprises, d’hésitations… Mais il fallait aussi jouer jusqu’au bout le « jeu » de l’exposition.
Merci à tous ceux qui ont contribué d’une façon ou d’une autre à cet effort d’ouverture à l’autre, notamment Ghislaine Twyman, William Daniels, Pascal Goujon, Damien Roiland, Michel Ducom pour ses conseils en écriture, et bien sûr tous les enfants photographes et écrivains en herbe.
Thibaud Saintin,
professeur de français
de la classe de Troisième.»