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C'est de la bile qu'on crache
par Chantal Anglade

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     Idées noires, c'est sur ces seuls mots que je voudrais répondre, c'est de la bile qu'on crache entre l'effort chaque jour recommencé, celui de l'écoute, je t'écoute mon petit (mon petit chéri), j'écoute tout, ce que tu dis et comment tu dis, puis celui de la réponse (mon petit chéri encore) qui dit seulement qu'on ne rompt pas, et la certitude que le monde ne veut pas du langage qui parle.

     C'est le pouvoir, la dictature de la Grande Dictée : acabi acaba et voilà !, gobez ce que l'on vous serine, réjouissez-vous, les solutions tombent du ciel, taisez-vous vous dis-je, on a des solutions avant même que naissent les problèmes. Natürlich, mon cher Wilson, on a tout prévu.

     (Ils sont jeunes les emploi-jeunes ! Embauchés. Présents. Assis sur une chaise à l'étage en-dessous, chez moi à Sarcelles, on ne leur a pas donné la clef de la salle des profs, on ne les a pas présentés, on ne sait pas à quoi ils servent, mais ils font la gueule. Dans quatre ans ils iront crier famine, la grande Education les gardera, ils encadreront, je suppose, les TPE et autres inventions.)

     Eh ! au lycée, il ne faudra pas parler de littérature, mais d'argumentation, on en parle déjà, il faudra en parler plus, vous savez bien que nous formons des commerciaux, c'est notre passion, il y a dans les rues des affiches, faucille et marteau EN OR vous dis-je ! ne pas parler ou pas trop de fiction quand on fait écrire mais d'imagination, c'est bien connu, la littérature c'est de l'imagination (ils disent "c'est imaginaire", ils ont tout dit, gna-gna-gna, là j'explose, ils pensent avec leurs yeux ronds putain elle pète un plomb).

     Nous sommes, professeurs-miroir haï qui renvoie aux souvenirs d'échec de l'âge tendre (quoiqu'on fasse, quoiqu'on dise dans la pénombre des confesssionnaux des "réunions" de parents-profs, on tente pourtant de dire son nom et de sourire, c'est toujours un enfant qui s'assoit en face de nous), d'anciens bons élèves coupables de l'avoir été, on aurait peut-être plaisir à dire "merde" nous aussi, merde merde merde, les parents grandiraient peut-être de nous voir rajeunir, je ne sais pas, tout le monde s'ennuie sauf ceux là-bas qui ont des solutions télévisées, on s'amuserait peut-être, on parlerait peut-être.

     La bile quand elle se crache est acide, ça brûle. Du sucre !

     Chantal

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