Celui qui dort dans un palace abandonné

Rédigé par Thibaud Saintin Aucun commentaire
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Ça faisait un moment que je voulais aller photographier cette villa abandonnée, gagnée par la friche. Il y en a beaucoup à Bangkok, de ces maisons ou immeubles entiers dont la construction a subitement été interrompue au moment de la crise de 1997 – comme le célèbre "Sathorn Unique".

Celle-ci, je l'avais repérée il y a quelques mois, en cherchant un raccourci pour accéder à un quartier difficile d'accès. Je voulais faire un aquarium avec Côme ; sur Internet, on trouvait des références à un petit magasin très modeste, mais qui avait tout pour se lancer. Le problème, c'est qu'il est dans un quartier complètement enclavé, auquel on ne peut accéder qu'au prix d'un demi-tour à des kilomètres sur une avenue embouteillée, dangereuse. Mais la carte révélait un passage discret, par des petits "soïs", et nous avions tenté ce raccourci. Elle ne mentait pas, on pouvait traverser, au prix d'un droit de passage à travers un luxueux "moo baan" (une zone résidentielle privée). Il faut montrer patte blanche au check point, payer 10 bahts ; cela a dû permettre aux habitants du moo baan à la fois de débarrasser leurs larges rues des pauvres, et de récolter de l'argent avec ceux qui sont prêts à payer. La dame de l'aquarium m'a confirmé la combine, connue des gens du quartier...

Il était peut-être prévu que ces deux étages de lumière et d'espaces climatisés se rattacherait à cette zone pour riches. Mais elle ne fait plus désormais que surmonter le "check point" comme un squelette sale.

Dans la villa en friche, on entendait le bip régulier du contrôle électronique qui actionnait la barrière, laissant et sortir les grosses voitures du "moo baan". J'ai visité une à une toutes les pièces, évalué la qualité de la lumière et des volumes, imaginé des gens bien habillés descendant un escalier hollywoodien au centre du bâtiment, admiré la ligne des immeubles depuis l'immense terrasse au sommet, rêvé à des soirées chic... J'avais la chanson de Brigitte Fontaine en tête, Hollywood (qui dépeint un luxe décadent), en voyant les immenses flaques et dégoulinures, la végétation envahissante, les bouts de tissus abandonnés, les restes de squat d'un soir.

Il y avait juste un coin au rez-de-chaussée, vers l'arrière, que je n'étais pas encore allé voir, voulant d'abord monter et profiter d'une lumière pas encore trop crue. C'est là que dormait cet homme, que j'avais d'abord pris pour un bout de chiffon – avant de me sentir un peu glacé d'être subitement en compagnie d'un être abandonné. Aucun de mes déclics et déplacements (il faut parfois sauter quelques flaques) ne l'avaient réveillé. J'ai tenté de faire ostensiblement du bruit pour qu'il ne soit pas paniqué de me voir là, à le regarder dans toute sa fragilité de dormeur – manifestement démuni. Pas moyen d'établir un contact.

Finalement j'ai décidé de le prendre en photo. Puis j'ai laissé de l'argent dans sa godasse, en me disant que – vu les restes du repas qu'il a l'air d'avoir pris, et vu l'air épuisé qu'il avait – ça serait une bonne surprise au réveil. C'est peut-être un moyen de l'acheter. Tant pis. J'ai aussi laissé la carte de visite fabriquée pour pouvoir mettre les gens en confiance et faire des photos de rue. Ce n'est pas totalement exclu qu'il donne signe de vie, sait-on jamais.

Les autres photos sont sur sur Flickr.
 

 

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