- En Troisième B, on a bien du mal à travailler, depuis le début, et pour certains ça fait bientôt quatre ans que ça dure. Conseils houleux, convocations diverses, ricanements, clans, etc. Ça s'est calmé depuis deux semaines, si on veut : il y a du silence, mais aucune envie d'être là pour autant. À l'horizon, partir d'ici. On essaie pourtant de penser à tous : ceux qui iront au lycée, ceux qui iront en BEP, ceux qui iront en apprentissage... D'où l'idée de proposer avant le départ au moins quelques séances d'essai. Mais on n'arrivait pas à trouver l'occasion, ni l'énergie.
- Heureusement il y a les veilles de vacances. Ce samedi là, beaucoup d'absents bien entendu, beaucoup de fatigue en prime. On a étudié les deux semaines passées un petit roman, Le Vieux qui lisait des romans d'amour de Luis SepÚlveda, et étudié l'argumentation, le positionnement de l'auteur (ici dans une perspective écologique). On prolonge le travail par la lecture de quelques textes de “littérature engagée” qui se trouvent dans le manuel. L'un d'eux est extrait du Grand Voyage de Jorge Semprun.
- On repère comment le récit “glisse” dans l'anticipation des moments où il faudrait éteindre le crématoire pour se prémunir des bombardements alliés, à partir d'une simple lumière, dans une gare, aperçue du train avant même qu'on soit encore arrivé au camp. On situe sur un axe chronologique les différents temps (celui de l'écriture, celui où la lumière est aperçue, celui des bombardements). On repère le début, la fin de cette anticipation, pour finalement constater que l'écriture réunit les deux moments autour d'un pivot, la lumière. Puisqu'il est aussi question d'“engagement” dans l'écriture, je les invite à réfléchir au glissement qui s'est peut-être produit au moment même d'écrire, et qui aurait permis la fusion dans un même texte des différentes strates du souvenir : c'est l'évocation de la lumière qui provoque le récit d'un autre événement lié à la lumière, tous deux événements traumatiques mêlés dans la même idée de lumière, qu'on raconte. C'est un peu compliqué, surtout une veille de vacances : ça suit, ça se tait, c'est mou.
- Plutôt que de m'énerver, je leur propose alors d'éprouver cet empilement des temps par l'écriture : le souvenir constitué, sur lequel on est plusieurs fois revenu sans même songer qu'on le faisait, et l'écriture comme constitution de ce souvenir, qui fait coexister dans la même phrase les différentes époques attachées à la même perception.
- De là on s'écarte totalement du sujet. L'enjeu n'est pas de s'étaler dans le récit d'un événement traumatique, mais d'essayer d'éprouver ce positionnement dans l'écriture du souvenir. Comme la consigne, préparée depuis peu, est encore fraîche, et qu'il reste des textes, c'est l'occasion d'essayer. Pour plus de commentaires sur ce qu'on met derrière cette proposition, voir ce qu'on a fait en parcours.
- C'est loin d'être un franc succès : cinq s'y mettent seulement. J'ai prévenu qu'on faisait tout ou rien : trois ou quatre sortent leurs revues à mobylettes. Les autres rêvassent, crayonnent. On fixe un temps éclair d'écriture, vingt minutes. Mêmes explications, peu ou prou, que dans la séance en parcours. Tous semblent s'intéresser, mais cinq seulement s'y mettent vraiment.
- Bonnes surprise sur les textes recueillis. Je les lis. Bonne écoute. L'un de ceux qui s'étaient abstenus commentent ironiquement « C'est beau » pour jouer les durs au coeur de pierre, mais il est vite remis à sa place, puisqu'il n'ayant rien tenté, il fait figure de boute-en-train (se renseigner sur l'histoire de ce mot).
- La suite s'enchaîne plus rapidement, je ne m'attarde pas sur ces textes, pour lesquels j'ai sans doute beaucoup plus projeté que les élèves eux-mêmes, qui attendent surtout la sonnerie.
- Et pourtant : ceux avec lesquels l'an passé, en quatrième, j'avais fait quelques séances en classe établissent immédiatement un lien : « M'sieur, on fait comme l'année dernière ? ». Parmi eux; ceux qui écrivent sans attendre ; ça n'a donc pas “servi” à rien. De plus, certains n'écrivent pas “officiellement”, mais s'y essaient, discrètement, dans l'agenda : ce qui retient, ce n'est donc pas seulement le manque d'intérêt, c'est aussi la pudeur.
- En guise de conclusion : c'était la première fois que j'expérimentais sur un temps très court, au pied levé, au sein d'une séance, de faire la jonction entre les cours “classiques” et un travail créatif. J'en retiens l'idée que c'est non seulement possible, mais nécessaire. Et comme l'autobiographie est au programme de troisième, c'est sans doute en ayant d'abord recours à ce type de travail, à intervalles réguliers, dans un jeu d'aller-retour, qu'on essaiera de l'aborder.
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