- Pour préparer le terrain : la postface de Plume de Henri Michaux permet de parler de la généalogie en la rattachant à l'écriture qu'on va laisser venir en soi. Quelques passages à lire, notamment dans le début, qu'on peut commenter. Elle permet aussi d'établir qu'à penser à "de plus lointains aïeux", on est en prise directe avec de l'inconnu qu'on porte pourtant comme héritage, jusque dans son nom (voir l'importance qui peut être donnée en génétique aux noms de famille) : "...quel ancêtre inconnu ai-je laissé vivre en moi ?"
- Echo : W ou le souvenir d'enfance de Perec. A partir de la photographie de ses parents (entre autres).
- Autre écho : Nuit de Sine, de L. S. Senghor, dans Chants d'ombre, 1945 :
"(...) Ecoutons la voix des anciens d'Elissa. Comme nous exilés
Ils n'ont pas voulu mourir, que se perdît par les sables leur torrent séminal.
Que j'écoute, dans la case enfumée que visite un reflet d'âmes propices
Ma tête sur ton sein chaud comme un dang au sortir du feu et fumant
Que je respire l'odeur de nos Morts, que je recueille et redise leur voix vivante, que j'apprenne à
Vivre avant de descendre, au delà du plongeur, dans les hautes profondeurs du sommeil."
- Piste de réflexion : la corrélation entre l'exil, l'héritage et l'écriture, qui emmène à inventorier pour soi des possibles d'hommes. "Moi" constitué de traces dispersées : "MOI se fait de tout. Une flexion dans une phrase, est-ce un autre moi qui tente d'apparaître ? Si le OUI est mien, le NON est-il un deuxième moi ?" (Postface de Plume). Et surtout : que l'héritage ait lieu dans l'écriture - au moment de la perte, de l'exil (l'exil réel de Saint-John Perse sur Long Beach Island coïncide avec le retour de l'écriture). Quand on ne peut plus (ou pas encore) établir de traces tangibles, ancrées, il reste le souci de parler de soi avec de l'autre ("fascination de l'absence de temps", Blanchot, L'espace littéraire. Souci de l'oeuvre qui passe par "moi" qui écris le livre ?).. Voir aussi la recréation de l'enfance dans Eloges, et sans doute aussi dans Proust. Pierre Pachet, aussi, dans Autobiographie de mon père. Etc. A voir.
- Lors de l'écriture : suivant les groupes, et la façon d'en avoir parlé ou pas avant, pas le même déroulement. Important : parler de la séance longtemps à l'avance, et marquer la différence avec un "cours" en brisant dès le début, délibérément, les habitudes - notamment l'alignement des tables, pour permettre à chacun de s'isoler et d'avoir l'espace suffisant pour un peu d'intimité, l'espace d'un temps à soi. Dans un groupe très "scolaire", je n'avais pas vraiment préparé ni annoncé clairement la séance, et certains se sont laissés vivre, sans investissement particulièrement visible dans l'écriture - même si les apparences sont trompeuses. Erreur, en situation scolaire, que de ne pas parler de "cette séance là" dans un cours précédent : si c'est le prof qui fait la proposition, dans leur tête, c'est d'abord un cours auquel on vient comme tous les autres jours. Si on en a parlé, on a le temps de se créer une attente. Rappeler avant, donc, quitte à se répéter, que tel jour, on va faire une séance, l'évoquer, dans l'attente qu'on en a soi-même (et si on n'en a pas vraiment envie soi-même, si on ne désire pas le texte à faire, inutile de "balancer" un texte, une "proposition" qui devient une consigne). Dans un autre groupe, j'y étais revenu plusieurs fois, et j'avais précédemment lu quelques textes de Michaux. Au lieu du traditionnel "on fait quoi aujourd'hui ?", c'était "alors qu'est-ce qu'on va écrire aujourd'hui ?". Les tables ont été déplacées d'emblée. Très fort investissement, silence qu'on n'ose pas déranger, postures de réflexion, d'isolement marqué - une élève a éprouvé le besoin de se cacher sous sa table.
- Sur la lecture
1. Avant l'écriture : lecture collective (et vivante, il faut secouer plusieurs fois, quitte à exagérer au début) du texte bien utile pour installer un rythme, que certains repèrent très vite (voir le texte de Benjamin).
2. Après l'écriture : réticences au départ - c'est bien entendu fragile. J'ai demandé que chacun lise une phrase tour à tour, que tous ces ancêtres se mêlent par voix, qu'on forme un corps de descendants les évoquant. A ceux qui ne voulaient pas lire leur texte, j'ai donné des textes anonymes d'un autre groupe. Très vite se crée un rythme, et l'écoute va grandissant. Au bout de deux ou trois minutes, on aurait pu partir que ce n'aurait pas été gênant pour eux : grande émotion partagée. Et surtout : nouvelle dimension de leurs textes, immédiatement perceptible, puisqu'on oublie de quoi on est parti, et les évocations, images, voix, se mettent à fonctionner pour ce qu'elles sont. On est très régulièrement surpris par la qualité de certaines paroles, et leur mélange fait contraste, on attend la suite. Dommage qu'il n'y ait pas eu de caméra, ou de magnétophone, parce qu'on se sentait entrer dans une "représentation".
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