- Au départ, j'ai évoqué ce que je savais de la vie de Cendrars, et posé la question de l'écriture dans une vie de bourlingueur. J'ai insisté sur la fugue, le départ, l'aventure qui commence sur un coup de tête, au coin de la rue, et proposé qu'on fasse appel à cette idée avant de commencer. J'ai évoqué Rimbaud, Michaux. L'idée, c'était donc de réévoquer un parcours qui soit celui d'une routine ou d'une oppression quotidiennement vécue, dont on cherche, par la pensée tournée vers le dehors, par le regard, par l'attention des sens, à échapper. Certains ont par la suite préféré faire que le trajet lui-même soit une escapade, un moment de liberté.
- Après avoir présenté la biographie et donné quelques pistes, j'ai lu tout le texte jusqu'à "nous sommes un orage dans le crâne d'un sourd". On a pointé quelques images où le narrateur semble s'effacer pour laisser agir ses perceptions (voir extraits du texte donnés en classe), avant de détailler la proposition et de passer à l'écriture.
- La première difficulté, c'était d'empêcher que l'écriture prenne ancrage dans la seule imagination : il fallait un recours à des sensations vécues, pour évacuer l'angoisse de la page blanche, et rattacher les "points de fuite" demandés sur du concret, directement accessible, sans un vocabulaire nécessairement étendu. J'ai donc insisté sur le fait que le trajet devait être bien connu.
- J'avais "interdit" le recours direct à la première personne pour focaliser l'attention sur les associations possibles entre différentes perceptions. Cependant beaucoup d'élèves ont eu besoin du "je" pour démarrer. Je les ai laissés faire pour qu'ils puissent s'installer dans l'écriture. Ensuite seulement, je suis intervenu au cas par cas pour le leur signaler, et leur suggérer l'essai d'autres formulation plus impersonnelles (nominalisations, infinitifs...). C'est ce point qui a posé le plus de difficulté, parce qu'il implique un petit déplacement pas forcément bien perçu au moment d'écrire. A la lecture des textes cependant, les remarques des élèves sur ce que ça changeait à leur texte ont été bon signe. Ils avaient senti que ce déplacement donnait une autre dimension à l'expérience initialement convoquée dans l'écrit.
- Après l'écriture, on a travaillé sur la lecture, en débordant même sur d'autres séances.
Pour démarrer, j'ai commencé par lire plusieurs textes d'élèves, de plusieurs façons différentes. Petit à petit, ils s'y sont mis à leur tour, avec des textes qu'ils échangeaient parfois. Je les ai incités à crier presque, pour faire cesser l'ânonnement. On a également repris le texte de Cendrars, en jouant sur le ton, sur des alternances dans la prise de parole.
Dans une séance ultérieure, je leur ai fait reprendre la lecture de quelques uns de leurs textes photocopiés, après avoir effacé les noms. On a fait différents exercices sur l'alternance des voix, sur le ton (expression de sentiments variés, placement de la voix, enchaînements dans la prise de parole, etc.), sur la lecture collective... Certains de ces exercices se sont même improvisés dans le feu de l'échange.
On observe alors que la lecture parvient rapidement à se charger d'une grande énergie. Les plus timides, ceux qui ont du mal à lire, se mettent à parler, à oser donner un ton (le professeur aussi d'ailleurs), à intervenir. Il arrive d'avoir l'impression que le texte se lit tout seul, parfois même à plusieurs voix. Le groupe devient soudain "demandeur" : "M'sieur, il faudrait encore d'autres textes". Les lecteurs qui ne jouent pas se font "secouer" par les autres... L'intérêt va crescendo, des remarques fusent : "j'adore cette phrase, là", "Ah ça donne bien comme ça", "M'sieur on le relit encore une fois autrement ?", "ah c'est ton texte ?" etc. L'agitation est canalisée vers le texte et ce qu'on en fait... Une véritable cocotte minute, mais extrêmement riche en échanges.
Moralité : ce temps de partage est à trouver absolument, quitte à ce qu'on le fasse de manière un peu cahotique au départ. Mon espoir, était qu'à mesure, le passage à la lecture ne soit plus redouté, ou confié au professeur, mais désiré comme un temps de prise de parole. il est comblé !
- En bref : Ca vient, ça vient !
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