Quelqu’un

Vraiment, ce besoin de ne pas être pris pour un autre, cet instinct furieux, car vous êtes soudain devenu furieux, cette rage de ne pas vouloir être confondu, vous ne devinez pas qu’elle vous dénonce ? Même si vous aviez une autre tête, si votre tête n’était qu’un masque, n’importe qui vous reconnaîtrait, vous qui ne voulez pas être n’importe qui, qui vous raccrochez désespérément à vous, pour vous distinguer, pour être quelqu’un d’à part, une anomalie, une exception sans règle, une exception ignorant et écrasant la règle. L’intrigue perce dans tous vos gestes : il y aurait ici, en ce moment, des monceaux de preuves de votre activité illégale, rien qu’on vous regardant, j’en saurais mille fois plus. Oh, depuis notre première rencontre, je vous ai étudié, je ne cesse de vous regarder : votre manière d’être là, de marcher, de vous tenir, c’est cela qui en vous travaille contre la loi, qui est un effort désespéré pour intriguer, pour conspirer, un effort et pas même un effort, car, soudain, vous le découvrez vous-même, il n’y a pas d’intrigue possible, tout est déjà par terre, vous êtes n’importe qui, un médecin, et vous vous mettez à crier : « je suis votre médecin, il ne faut pas me prendre pour un autre », de sorte que votre protestation, à l’instant même, vous trahit encore, et à nouveau c’est l’intrigue, l’espoir de l’intrigue, et tout recommence.

Maurice Blanchot, Le Très-Haut

Mémorandum de la peste

Lecture stimulante, comme résistance à la sanie de « l’actualité », ou plutôt comme remise en place. Début de la préface de Jean-Pierre Vincent : « Ce texte vous parle. Il ne disserte pas. C’est une intimité singulière qui s’essaie à vous chuchoter quelques messages lointains – et pourtant si étrangement familiers à vos pensées inquiètes. »

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